CoopCircuits, en tant que membre fondateur de l’alliance Licoornes, co-organisait le festival l’Onde de Coop le 12 septembre 2024 à Paris. Cet article propose une synthèse et des références de l’atelier animé par CoopCircuits : « Dépassons l’entreprise capitaliste pour construire un autre imaginaire de l’économie » avec les interventions de Christelle Baron (Université Paris Descartes), Paul Boulanger (Pikaïa) et Bérengère Batiot (CoopCircuits).

Et ci-dessous quelques photos de l’événement où se sont mêlés travail et convivialité, comme savent si bien le faire nos coopératives.

 

Le pitch de l’atelier :

L’entreprise est politique ! Et si le collectif passait avant la recherche de profit ? Ce sera le point de départ de cette discussion. Cesser de se concentrer uniquement sur la performance, économique et financière, en particulier, prémunit l’entreprise contre ses fragilités. Contre intuitifs à première vue, ces éléments permettent de bâtir un imaginaire renouvelé de ce qu’est une entreprise qui « réussit », c’est-à-dire qui dure et évolue avec ses partenaires. Cet atelier croisera apports théoriques et exemples concrets, avec une large place donnée aux interventions du public pour avancer ensemble sur l’imaginaire de l’entreprise et se donner des pistes de réflexion et de progrès dans les projets auxquels nous contribuons.

(Tentative de) synthèse :

L’entreprise est politique !
  • L’entreprise se définit par son collectif, davantage que par la recherche de profits.
  • Ce collectif est composé d’individus libres, et pour pouvoir être libres, nécessairement égaux au sein du collectif, car agissant dans un cadre commun (= la raison d’être, qui est nécessaire mais insuffisante, car elle doit s’accompagner de la capacité d’agir en liberté des membres du collectif).
  • La liberté est donc la condition permettant d’ouvrir les possibles. Elle n’est pas le but, mais une pratique dans l’entreprise.
  • Cette pratique, c’est la délibération, le processus par lequel le collectif constitue un monde commun. La délibération se distingue de la communication. La délibération est une pratique d’action en commun qui prend en compte le conflit. Dans ce cadre de délibération, le conflit n’est pas bloquant, il est fertile.
  • La gouvernance, aussi éthique soit-elle, pour donner corps à la délibération dans l’entreprise, est nécessaire, mais insuffisante. (« Le statut ne fait pas la vertu. »)
  • L’entreprise qui s’inscrit dans le politique prend aussi en compte les fonctions essentielles à son fonctionnement (en particulier la famille et les services publics éducatifs, de santé, de gestion d’infrastructures etc.)
  • L’entreprise s’inscrit ainsi dans un écosystème, avec des interdépendances au sein de la société, qui ne sont pas cachées.

 

Redéfinir la performance :
  • La santé et la productivité des écosystèmes vivants résultent d’un équilibre dynamique de fonctions essentielles (les grands cycles de l’eau, de l’oxygène etc., la pollinisation, le recyclage…) – ces fonctions sont souvent invisibles à l’œil nu. Par analogie, les fonctions essentielles qui rendent possibles les activités économiques sont celles rendues par les communs naturels et humains : la sphère de l’intérêt général. Elles sont également trop souvent ignorées.
  • La performance, telle qu’elle est entendue aujourd’hui, ne tient pas compte de cette dépendance des agents économiques vis-à-vis de la santé et de la productivité de leur milieu : elle ne prend en compte que le périmètre de l’entreprise, sous un déterminant simpliste de la rentabilité. L’entretien des communs est considéré comme une charge, un coût.
  • Reconnaître l’interdépendance entre la sphère de l’intérêt général et celle de l’intérêt particulier est un premier pas vers la performance globale, à l’échelle des sociétés humaines. Cette interdépendance existe dans le vivant et il est possible de s’en inspirer largement.
  • Ici, il convient de travailler sur les outils de mesure de la performance. « La carte ne fait pas le territoire ». Ce faisant, l’indicateur représente souvent quelque chose qui ne recouvre pas l’entière réalité de l’entreprise.
  • Ce qui rend une entreprise fragile, ce sont des critères et indicateurs trop réducteurs. Il faut savoir mesurer l’entière réalité de ce qui fait fonctionner l’entreprise.
  • Indicateurs qualitatifs :
    • Nous sommes des êtres de récit. Il ne faut pas seulement compter mais raconter !
    • Mustela et la comptabilité CARE
    • Enercoop et 16 critères dont découlent 90 indicateurs
  • Sortir de la performance telle qu’elle est définie aujourd’hui requestionne aussi les objectifs du projet. Par exemple : faire du chiffre d’affaires pour survivre, maintenir les emplois, est un moyen, pas un objectif. Il faut penser les objectifs sur le temps long (6 ans serait une bonne échelle), non le temps court, ce qui permet d’investir dans les ressources immatérielles, garantes de la santé et de la résilience à moyen terme.
  • La finalité de l’entreprise, ses objectifs, doivent être mis en débat dans le collectif, par la délibération, et requestionnée à échéance régulière. Exemples :
    • La CAMIF qui a activé un nouveau levier de développement autour du moins mais mieux (renoncement au Black Friday, campagne de communication axée sur la pédagogie pour le réemploi et les achats raisonnés etc.)
    • Pochecoqui a transformé son activité de production pour la rendre plus responsable, et a en parallèle développé une activité de conseil et formation autour de la transition écologique des entreprises

 

Temps d’échange avec les participant-es sur la finalité de l’entreprise :
  • La finalité ultime : l’émancipation des individus par l’action dans un collectif, une façon de prendre sa part dans la société en tant que travailleur-se et citoyen-ne, un cadre qui les rend autonome.
  • Concrètement, cette visée de l’émancipation implique de faire la place à imprévisible (c’est l’innovation), d’accepter de « ne plus être maître de », de pratiquer la confiance et l’expérimentation, dans le cadre commun.
  • On conclut avec David Graber qui remarque qu’on ne se rend plus compte de ce qu’on a gagné. Il faut célébrer et reconnaître (au sein de l’entreprise, mais aussi vers l’extérieur). Au final, en racontant et en célébrant, en faisant état des évolutions, on écrit de nouveaux imaginaires pour une entreprise aux prises avec la réalité de l’état du monde.

 

Références :

Paul Boulanger, Biomimétisme et stratégies d’entreprise, 2024, Rue de l’Echiquier

Lorino, Philippe, Conte et récit de la performance, essai sur le pilotage de l’entreprise, 1995, les Editions d’organisation => un « vieil » ouvrage qui décrit, déjà, la construction de récits du contrôle de gestion. Un peu technique, mais au support de l’argumentation.

Tassin, Etienne, 2003, Un monde commun, pour une cosmo-politique des conflits, Seuil => un titre un peu ardu, car un livre de philosophe… Pour amateur.rice.s de philosophie, mais qui a l’avantage de replacer les questions de liberté, de conflictualité, de violence, de communauté … Sur des rails différents des voies toutes tracées. Pour celleux qui ont apprécié le Commun de Dardot et Laval, par exemple. Ne parle pas d’entreprise, mais pose des grandes questions.

Veyer, Stéphane, 2024, Pirater l’entreprise, Coopaname : 20 gestes d’une subversion managériale, Les petits matins, Mondes en transition => 20 gestes aux 2 sens termes : de gestion et de « la geste » qui se raconte. Pour le coup des réflexions et pratiques concrètement mis ses en œuvre (ou pas d’ailleurs) dans une coopérative. Sort le 9 novembre.

Olivier Hamant, Antidote au culte de la performance, La robustesse du vivant, Tracs, Gallimard, 2024 => une réflexion sur l’obsession monomaniaque de la performance dans le modèle des économies financiarisées et son inadéquation pour permettre à l’entreprise d’évoluer dans un monde incertain, à partir d’exemples tirés de la biologie.

Pour aller plus loin :

Olivier Hamant, La troisième voie du vivant, 2022, Odile Jacob et De l’incohérence, philosophie politique de la robustesse, 2024, Odile Jacob

David Graber, Révolutions à l’envers, essai sur la politique, la violence, l’art et l’imagination, 2011, Rivages => Du Graber, « classique » dans ses positions anti-système. Engage à la possibilité de nouveaux imaginaires et surtout insiste sur le fait que les possibles sont plus ouverts que l’on a l’habitude de le croire.

 

Quelques photos pêle mêle de l’événement. Grand merci à Christina Wu et Marylou Mauricio pour les photos.

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